« Plus jamais ! » Cette parole résonne chez de nombreux employés qui, face à l'angoisse suscitée par le management, choisissent de s'en détourner. Sarah, une ancienne gestionnaire de compte, a découvert les facettes sombres de ce rôle. À seulement 30 ans, elle pensait que devenir manager serait une avancée professionnelle, une promesse d'un meilleur revenu et d'une reconnaissance accrue. Cependant, la réalité a été tout autre.
Après quelques jours à son poste, son supérieur s'absenta pour congé paternité. La responsabilité d'une équipe traumatisée reposait alors sur ses épaules. Le précédent manager avait brisé la confiance au sein du groupe, et sans aucune préparation, Sarah a été confrontée à une charge de travail excessive. Le soir, elle s'efforçait de rattraper le temps perdu tandis que le week-end était synonyme d'épuisement. Elle admet aujourd'hui avoir été « complètement cramée » en quelques mois. À l'issue de son contrat, elle a décidé de se lancer à son compte, le mot « manager » lui inspirant même un léger frisson d'angoisse.
Des attentes démesurées
Historiquement, le rôle managérial était synonyme de réussite : un bureau plus spacieux, un titre prestigieux à partager avec la famille. Aujourd'hui, cette image est ternie, et un phénomène appelé le conscious unbossing a émergé, révélant une aversion croissante pour ces postes aux promesses exagérées. Selon une étude de Robert Walters, plus de la moitié des jeunes professionnels britanniques renoncent à l'idée de prendre la direction d'une équipe. En France, l'Apec révèle une chute de sept points en un an concernant l'intérêt des jeunes cadres pour le management.
Christophe Nguyen, psychologue au travail, explique que les alliés du management ne reculent pas par peur du pouvoir, mais plutôt à cause des exigences écrasantes qu'il impose, entre la gestion des personnalités difficiles et le poids insupportable des responsabilités. Dans le contexte actuel, les employés évaluent rapidement les bénéfices et les inconvénients, et le verdict penche souvent en défaveur du management. Les manageurs sont souvent perçus comme des figures visibles, remplacés par une exigence de résultats ininterrompue.
Par ailleurs, une étude de l'Apec note que 61 % des cadres éprouvent régulièrement une charge de travail insurmontable. « Beaucoup préfèrent ne pas s'impliquer pour préserver leur bien-être, » souligne Nguyen.
Un paysage en mutation
Julien, vidéaste de 47 ans, met en lumière l'écart entre les promesses faites aux managers et la réalité. Il perçoit le management comme une contrainte, limitant sa créativité à des tâches de reporting et de gestion des conflits. Félix, développeur de 34 ans, partage son avis et explique qu'être manager se résume souvent à relayer les instructions d'une direction sans lien réel avec les équipes.
La réalité est encore plus préoccupante dans un environnement économique incertain. L'intensification des tâches et la fusion entre vie professionnelle et personnelle compliquent la situation. « Les manageurs doivent jongler entre des résultats attendus et un soutien humain nécessaire », remarque Nguyen.
Cette désaffection ne concerne pas que la nouvelle génération. Il s'agit d'une véritable crise affectant l'ensemble des salariés selon Gaël Bouron de l'Apec. Ce désengagement massif est confirmé par l'enquête State of the Global Workplace de Gallup, qui indique qu'à peine 7 % des salariés français se disent engagés au travail.
Dans un climat de pression croissante, les manageurs doivent s'adapter, partager leurs responsabilités et recentrer leurs efforts sur le bien-être des équipes. Si l'approche du management ne change pas, il semble que cette situation soit amenée à se pérenniser.
