Le cimentier français Lafarge, ainsi que huit de ses anciens responsables, se retrouve au cœur d'un procès retentissant à Paris, où sont examinées des accusations de financement d'organisations jihadistes en Syrie, notamment l'État islamique (EI), jusqu'en 2014. Les débats, qui s'étendent sur plusieurs semaines, se concentrent sur les questions éthiques et juridiques soulevées par ces actes, alors même qu'une guerre civile dévastatrice faisait rage.
Les procureurs du parquet national antiterroriste (Pnat) doivent bientôt présenter leurs réquisitions à l'encontre des prévenus, dont le numéro un de Lafarge, Bruno Lafont, et d'autres cadres de haut niveau. Au cœur des accusations se trouve un réseau de paiements conséquents effectués par Lafarge via sa filiale Lafarge Cement Syria (LCS) pour maintenir ses activités dans la cimenterie de Jalabiya, malgré les dangers omniprésents rencontrés sur le terrain.
La société, fusionnée en 2015 avec le groupe suisse Holcim, aurait versé des millions d'euros à différents groupes armés, justifiant ces transactions par une logique de survie économique. "Ce n’était pas nouveau, ce système est généralisé au niveau de la Syrie", a déclaré Christian Herrault, ancien directeur général adjoint de Lafarge, illustrant les dilemmes infligés par un environnement de plus en plus hostile.
Alors que de nombreuses multinationales ont abandonné la Syrie dès 2012, Lafarge a pris le risque controversé de maintenir ses opérations, évacuant seulement ses employés étrangers. Leur stratégie a pris fin en septembre 2014, lorsque l'EI a pris le contrôle de la cimenterie.
Ce procès pourrait coûter très cher à Lafarge, avec une amende potentielle pouvant atteindre 1,125 million d'euros pour le financement du terrorisme, tandis que des amendes pour violations d'embargo pourraient s'élever considérablement, multipliées par dix selon le verdict final. Les individus impliqués pourraient également faire face à dix ans d'emprisonnement et à des amendes de 225 000 euros.
Des éléments accablants ont été mis en lumière lors du procès, notamment des e-mails et des documents internes qui jettent une ombre sur les déclarations de l’ancienne direction. Loin d’être une question de simple opportunisme commercial, le cas pose des interrogations fondamentales sur les responsabilités des entreprises dans des zones de conflit. Des experts en droit international pointent du doigt le devoir de diligence des multinationales, notamment en matière de respect des droits humains.
Le débat s'est intensifié avec les tentatives de la défense de faire valoir qu’une forme d'approbation tacite aurait été accordée par les autorités françaises. Cependant, les témoignages des anciens responsables ont contredit cette thèse, affirmant que même si Lafarge fournissait des rapports de situation, cela ne prouvait en rien l'ignorance des versements faits aux jihadistes.
Les prochaines plaidoiries, qui devraient se prolonger jusqu'au 19 décembre, offriront une plateforme pour approfondir ces discussions cruciales. Le jugement, attendu en 2026, fera sûrement date dans le paysage judiciaire français et international, posant la question essentielle : jusqu'où les entreprises doivent-elles aller pour sauver leurs opérations sans compromettre leurs valeurs éthiques ? Cette affaire rappelle les fardeaux moraux que portent les géants industriels lorsqu'ils opèrent dans des environnements instables.







